Unikfingers a été un des piliers de la communauté francophone du making. La nouvelle de sa disparition me frappe en plein cœur. On a été des amis, constamment sur les mêmes forums, des collaborateurs, à travailler sur les mêmes jeux ou en contribuant au jeu de l’autre, pendant des années importantes de nos vies. Le mieux que je peux faire maintenant est de faire un portrait chronologique de qui il était.

Unikfingers est arrivé dans la communauté du making en 2002. Je le vois comme faisant partie de ces makers de deuxième génération, celle qui a réellement poussé les limites du logiciel, avec des systèmes custom et une atmosphère visuelle travaillée. RPG Maker était alors à la télévision, dans les magazines, et les curieux, y compris Unikfingers, ont afflué vers Okius, le site de Suiko et portail du making francophone en 2001-2002.

Mais Unikfingers a d’abord commencé comme musicien.

En septembre 2002, Suiko annonce avoir trouvé un musicien pour son jeu, Odessa, qui était ni plus ni moins le jeu phare de la communauté à l’époque. C’est Unik ! Avec Cornemuse (qui avait été le premier musicien de Suiko), Da_Ranjahz et Killian, ils créent un groupe d’entraide sur la musique dans RPG Maker.

(logo du groupe, annonce de Suiko, 2002)

Entre la fin de 2002 et l’été 2003, Unikfingers travaille sur cette bande-son (les deux se parlent par téléphone), et divers extraits sont partagés sur le site de Suiko ainsi que sur Manka-Dream. On le voit aussi dans les commentaires des news, dans les forums, prêt à participer dans les diverses querelles d’époque, et souvent comme une voix raisonnable. Il faut dire, il avait environ 10 ans de plus que nous tous ! À une époque où le making était une affaire d’adolescents, c’était littéralement l’adulte dans la place.

Odessa, comme bien des jeux RPG Maker, ne verra jamais le jour. Unikfingers commence à fréquenter le forum d’entraide, qui deviendra Arbremana, et c’est surtout là que je commence vraiment à le remarquer. En début 2004, il réalise sur Arbremana un fameux article sur la musique électronique qui en avait marqué plusieurs.

Mais jusqu’à ce moment-là, on n’avait jamais vu Unikfingers faire du making.


charset

Les choses changent avec Rutipa’s Quest 4. Après le succès populaire du précédent opus, la nouvelle équipe se trouve ravigotée. Je fais le dixième chapitre du jeu avec Unik. On travaille à deux, mais chacun a un scénario dont il est principalement responsable. Autant dire que, même si j’étais dans le making depuis 2000, que j’avais déjà quatre jeux sortis, que je m’étais cassé les pieds à refaire entièrement un système de charsets en pictures juste pour créer un effet de flou pendant des déplacements… ce que j’ai fait ne vaut rien comparé à sa contribution. Ce n’est pas juste que c’était techniquement accompli, mais qu’il y avait un réel flair cinématographique dans sa mise en scène. Ce ballon qui s’envole vers le ciel ? Ces plans où on suit le ballon se promener aux alentours d’un château, incluant un plan où on ne voit que l’ombre du ballon passer au sol, là où la lumière des fenêtres se dépose… Il y avait là des choses que l’on avait vues très rarement auparavant, et à vrai dire, toute la poésie et l’esthétique de son œuvre à venir semblent désormais évidentes. Incapable de faire compétition sur ces aspects, je suis revenu seul au chapitre 11 pour faire une fin catastrophique, qui balance tout en l’air au mieux de mon talent. En demandant à Unikfingers de faire la voix de tous les personnages pendant les cinématiques, bien sûr.

Pendant que Rutipa’s Quest 4 avançait au printemps 2004 (il sortira en août), Unikfingers commençait son projet personnel, Fairytale. Des screenshots commençaient à faire leur apparition, des extraits circulaient en privé. On voyait ce train en flammes (qui ouvre le jeu et précipite le protagoniste dans une exploration de son inconscient), on n’en revenait pas. Il n’y avait pas beaucoup de jeux à venir de cet acabit, c’était ça et Eyes of Mondo de Kryzalid. On voyait des palettes de couleurs soignées et une utilisation novatrice du rip, qui consistait à mélanger des graphismes de divers jeux commerciaux pour arriver à former un tout cohérent sur une même map.

Sur ImagieNation, nouveau portail de la communauté auquel je participais, on imaginait un plan : et si, pour Noël, tous les jeux les plus attendus de l’année sortaient (ou, en tout cas, une démo) ? Les gens ont embarqué, et… et ben le site s’est fait hacker juste avant, mais c’est pas grave, la sortie des jeux s’est déroulée tout de même, et Fairytale a été le clou du spectacle. Presque un an plus tard, le jeu remporte une flopée de prix aux Alex d’or, dont celui du meilleur jeu. Je suis sûr que d’autres en parleront mieux que moi : Fairytale est une œuvre énormément marquante. Pour moi, aujourd’hui, c’est représentatif de ce que j’aime du making, des possibilités du jeu amateur libre de toute contrainte et réalisé par une personne pour être vu par une communauté.

Unik m’avait invité à faire une map dans Fairytale.

Il s’agit d’une map secrète dans le jeu.

C’est assurément la pire chose à propos de Fairytale.


(2005)

Entre-temps, Unik fait sa marque sur plusieurs jeux communautaires. Il rejoint la Ligue des Makers Extraordinaires, sorte de site central du making, bien contre son gré. Quand je me retrouve en charge de la série Rutipa’s Quest, je décide que le huitième épisode sera différent, qu’on prendra notre temps (il faudra en effet 3 ans pour aboutir le jeu, alors que les précédents étaient une affaire de quelques mois), et Cornemuse, allié des premiers instants de la conception du jeu, avec Unikfingers, mettent leur touche personnelle au projet entier. À ce stade-ci, j’ai l’impression que je pourrais reconnaître hors de son contexte une map RPG Maker faite par Unikfingers.


(un dessin par Truk, 2006)

Fairytale a continué à être développé pendant ce temps. Une version plus avancée a vu le jour en 2007 ; je crois qu’il s’agit de la version qui circule à présent (l’original est encore sur mon disque dur, si jamais). Le jeu a continué à être développé un certain temps après ça.

La seule fois que j’ai vu Unikfingers en vrai, c’était après cette nouvelle version. J’ai pu aller chez lui (il habitait ce qui ressemblait à une sorte de grenier tout en haut d’un bâtiment, c’était plutôt sombre, l’ordinateur était près de la fenêtre) et essayer des bribes de ce qu’il programmait alors (qui avaient des similitudes techniques par moments avec le jamais sorti Native Species d’El Diablo — une coïncidence, car presque personne n’a vu ce projet, je trouve ça intéressant d’y penser). Je ne sais pas pourquoi, mais Unik me disait que j’étais bon photographe et il voulait que je le prenne en photo. Déboussolé, j’ai juste fait involontairement le pire portrait possible de lui. Des années qu’il était là, et j’étais encore starstruck et maladroit en sa présence !

Mais je n’étais tout de même pas gêné de le balancer dans des délires absurdes, comme quand je débarquais en CAPS LOCK sur MSN pour dire à des gens qu’ils avaient soudainement 30 minutes pour faire, presque contre leur gré, une partie d’un jeu dont ils n’avaient jamais entendu parler auparavant. Ça a donné Dark Soule.ace, et quand on a décidé de faire l’absolu contraire pour le deuxième, bien sûr qu’Unik a trouvé le moyen de faire ce qui est peut-être le moment le plus mémorable du jeu (ou bombe posée par la cellule terroriste du making, c’est selon).

Les années ont passées, nous ne sommes plus vus...


J’ai dessiné Unikfingers pour la première fois en presque 20 ans ce printemps.

Merci, mon ami.


(2004. fun fact : c'est une photo de moi sur laquelle j'avais retracé dans Paint pour dessiner Unikfingers)


(2008)


(2005)


(2005)